Hommage à Michel Deparis

Tribunal de Paris, procès Lombard, audience du 13 juin 2019. Des amis, des collègues marseillais de Michel Deparis étaient à l’audience…

« Quatre cas sont présentés, Y Minguy, Mme Courrier, Mme Ciroux, et Michel Deparis suicidé le 13/07/2009. Il était de notre unité. C’est surtout pour lui que nous sommes là.

« Nous sommes venus à six de Marseille. Collègues de Michel, élu-es CHSCT, de la CGC, de FO, de Sud.

« Pas tant pour comprendre. Nous avons vécu ces temps terribles, d’émotion brute, de rage, de tempête organisationnelle, de transformation permanente, de destruction des métiers et des collectifs. Sans autre raison qu’inciter le plus grand nombre à partir, dégouté, meurtri, malade.

« En 2009, après le suicide de Michel, le CHSCT a constitué un GAP (Groupe d’Analyse et de Prévention) pour tenter d’élucider son geste et prévenir les autres salarié-es exposé-es à des situations similaires.

« Composé de 4 élu-es, du préventeur, d’un représentant de la direction, du médecin du travail, de l’assistante sociale, le GAP rendra un rapport circonstancié après 6 mois d’enquête. Rapport dont nous retrouvons de nombreux passages dans l’ordonnance de renvoi lue par la Présidente en cette fin d’après-midi.

« Pas tant que nous avions alors tout compris, non. Mais nous y pointions des éléments déterminents.

« Neuf années et onze mois plus tard, il n’est pas sûr que les acteurs de ce tribunal aient réussi à approcher cette compréhension.

« Dans un contexte délétère, qui intoxiquait l’ensemble de France Télécom depuis plusieurs années, fusions, mutualisations, suppressions / transformations de tous les services, de l’ensemble des métiers pré-existants. 

« Comment un cadre technique reconnu, compétent, consciencieux, sur un poste crucial pour le réseau mobile, peut en venir à douter de lui, de ses aptitudes professionnelles, de sa capacité à relever des défis maintes fois surmontés, à perdre toute estime de lui au point que la seule issue à sa souffrance soit de mettre fin à ses jours ? Dans la lettre qu’il nous adressa, il écrit : « Je me suicide à cause de mon travail à France Télécom. C’est la seule cause ».

« Bien qu’en ces temps troublés, nombres de manageur-es adoptèrent des postures brutales, humiliantes envers les salarié-es sous leur responsabilité, dans le cas de Michel nous n’identifierons pas de personne qui se serait particulierement acharné à son égard. Mais clairement une fragilisation liée à une charge croissante, au développement de nouvelles générations technologiques dans le mobile dont il était un pivot, la restructuration de ce domaine, du découpage géographique en découpage suivant les technologies, l’absence de formation (autre que 2 jours pour un applicatif qui comme beaucoup, ne vient pas simplifier la tâche mais exige d’être alimenté pour produire des indicateurs).

« Il s’agit d’une souffrance créée par l’évolution de l’organisation du travail à tous les niveaux dans un contexte de transformation rapide et violente (NEXT).

« Tout le monde a été déstabilisé, chacun s’est senti visé, ciblé, potentiellement redéployable sans préavis. Si la ligne hiérarchique n’a pas toujours été très clean, c’est bien les auteurs de cette stratégie du chaos qui sont responsables des souffrances, des blessures, des traumatismes et des décès.

« Difficile dans cette audience de tribunal de percevoir ce que cela a été. 

« L’étude de certains cas abordés ouvre des échanges qui se voient plus dans un tribunal des Prudhommes qu’au pénal.

« Pour Michel, la présidente projette un échange de courriels au sein de la direction 1 an après les faits à propos de la reconnaissance du suicide de Michel comme accident de service. C’était alors une revendication des élu-es CHSCT de l’unité et de la famille, comme conclusion logique au rapport du GAP, valant reconnaissance de la responsabilité de l’entreprise. Entre temps, la direction aura demandé au ministre du travail la désignation d’un inspecteur de l’IGAS pour guider sa décision. Ce dernier rendra un avis défavorable à la reconnaissance, tout comme la Commission de réforme (consulté pour avis pour les fonctionnaires). En juillet 2010, S Richard, nouveau PDG passera outre ces avis. Nous apprenons à l’audience, à travers ces courriels, qu’il s’agissait d’une « reconnaissance pour mémoire » ( ?) ; et donc ainsi France Télécom ne se reconnaissait en fait aucune responsabilité. La famille demandait alors quelles indemnisations était prévues, ces dirigeants optaient pour accorder 41 000 euros mais au titre de « l’assistance décès » ( ?). Louette secrétaire général de France Télécom en réponse à la proposition trouva cette solution « raisonnable ET habile » !

« Quant à Lombard il déplore la mort d’un si exceptionnel technicien au cœur des enjeux industriels de l’entreprise…

« Michel était un bon, très bon, professionnel, mais comme il y en avaient des milliers à France Télécom qui faisaient que collectivement cette boite tournait bien, malgré les errements boursiers et stratégiques des directions se succédant une fois les pactoles empochés.

« Que ces gens là comprennent comment on en vient à se donner la mort sous leur direction, ne rêvons pas.

« Mais peut-on espérer de ce procès qu’ils sachent que leurs décisions n’ont pas seulement d’impact sur les cours de la bourse, que des femmes et des hommes travaillants peuvent en souffrir, voire en mourir. 

« Qu’eux-mêmes et leurs semblables pourront être poursuivis et condamnés pour ces faits. »

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