L’alerte d’un syndicat de médecins au CNSHSCT

Le courrier du SNPST, un syndicat de médecins du travail, au CNHSCT pour informer les élu-es de l’alerte qu’il a fait en direction du Pdg Didier Lombard, mais aussi en direction des services RH et en direction du ministère du travail.

Il y est question de pratiques bien « troubles » qui font état de « rétention d’informations scientifiques concernant la santé au travail des salariés », d’« atteinte délibérée à la déontologie médicale » en ce qui concerne par exemple les cellules d’écoute mise en place en 2007, d’« atteintes à l’indépendance des médecins du travail » en les empêchant de jouer leur rôle de « conseil aux salarié-es »…


SNPST

12, impasse Mas – 31000 Toulouse

tél. 05.61.99.20.77 fax. 05.61.62.75.66

snpst.toulouse@orange.fr

A l’attention des Membres du SNHSCT de France Télécom

Toulouse, le 21 décembre 2007

Nous vous prions de bien vouloir trouver ci-joint copie du courrier adressé ce jour à Monsieur Didier Lombard, Président Directeur Général de France Télécom.

Nous vous prions d’agréer, Madame, Monsieur, l’expression de nos salutations distinguées.


Docteur Mireille Chevalier

Secrétaire Générale

à Monsieur Didier LOMBARD

Président Directeur Général de France Telecom

6 place d’Alleray 75505 Paris Cedex 15

Le SNPST appelle solennellement votre attention sur la situation du Service de Santé au Travail de France Telecom qui, depuis quelques mois, connaît de graves dysfonctionnements.

1. Rétention d’informations scientifiques concernant la santé au travail des salariés

Entre 1989 et 1995, 5 agents des lignes (âgés de moins de 40 ans) travaillant au CCL de Saint Nazaire sont décédés d’un cancer. Le 18 octobre 1995, à la suite d’une plainte déposée par un syndicat, la Direction Générale de France Telecom a réuni l’ensemble des médecins du travail pour décider des actions à conduire. Après avoir pris connaissance du dossier, les médecins du travail présents à cette réunion ont émis plusieurs avis. Il a notamment été recommandé de réaliser une enquête épidémiologique afin de savoir si cet agrégat spatio-temporel avait une origine professionnelle.

Cette étude a été confiée par la Direction Générale de France Telecom à deux épidémiologistes de l’unité 88 de l’INSERM (Danièle LUCE et Pascal GUENEL). Il s’agissait d’une étude de mortalité par cancer des salariés et retraités de France Telecom destinée à déterminer si les travaux de maintenance et de construction du réseau téléphonique présentaient un risque pour la santé.

Le rapport de fin d’étude a été publié en avril 2003. Les résultats ont été présentés aux médecins du travail de France Telecom puis au CNHSCT lors de la séance du 30 juin 2003.

Dans le rapport final, on pouvait lire dans le chapitre « Discussion sur les effets de l’amiante » (p71) que : « …l’exposition à l’amiante ne semble pas associée à France Telecom à une augmentation du risque de cancer. Ceci est probablement dû aux niveaux d’exposition globalement très faibles qui ont existé à France Telecom. Des analyses complémentaires devront aussi prendre en compile des périodes de latence… Plus généralement, les conclusions de cette étude étaient plutôt rassurantes « Globalement, la population des salariés des services techniques de France Telecom ne présente pas de risque de cancer que l’on peut attribuer avec certitude à des expositions professionnelles passées…« 

En avril 2007, un médecin du travail de France Telecom découvre avec stupéfaction, deux références bibliographiques qui laissent supposer que l’étude épidémiologique a été poursuivie par les chercheurs de l’INSERM. À la lecture de ces publications, il apprend que les chercheurs ont effectué des analyses complémentaires et que les conclusions sont très différentes de celles de 2003 : … « Une augmentation significative du risque de décès par cancer du poumon chez les lignards exposés aux alentours de 2 fibres par cm3 et par an @R = 2.1)« . « Les découvertes suggèrent une association causale possible entre l’exposition intermittente à l’amiante et le cancer du poumon » … »Ces découvertes fournissent un argument supplémentaire pour affirmer que même les faibles niveaux d’exposition professionnelle à l’amiante devraient être strictement évités« .

Dès cette découverte (avril 2007), les services de la DRH de France Telecom sont alertés par les médecins du travail qui ont pris connaissance des résultats de cette nouvelle étude. Devant l »inertie » de vos services, un médecin du travail de France Telecom, soucieux de ses devoirs confraternels, décide le 3 juillet 2007 de diffuser cette enquête à l’ensemble de ses confrères de France Telecom et de faire part de son étonnement. Ce n’est finalement que le 2 août 2007 que vos services se décideront à diffuser un résumé en français du dit article. Plusieurs échanges de courriers entre les chercheurs et vos services nous apprendrons ultérieurement que ces résultats étaient connus de la DRH de France Telecom depuis 2005 !

Comment ne pas s’indigner devant un manquement et une rétention d’information aussigraves ? Manquement d’autant plus grave que les nouvelles conclusions sont très différentes de celles du premier rapport et qu’elles ont, comme le souligne les chercheurs, une incidence sensible sur la prévention.

Ces récherches complémentaires auraient dû conduire à une très large publicité. C’est d’ailleurs l’engagement qui avait été pris lors du CNHSCT du 20 juin 2003 et dans la conclusion du rapport final : « … les résultats d’investigations complémentaires seront communiqués et commentés à l’ensemble des partenaires concernés à France Telecom« . En occultant pendant plus de deux ans cette découverte scientifique, vos services ont sciemment choisi de retarder la mise en place de moyens de prévention pour des catégories de salariés jusqu’alors considérés comme ayant un risque insignifiant de cancer du poumon du fait de leur exposition aux poussières d’amiante.

2. Atteinte délibérée à la déontologie médicale

En juillet 2007, un mail du médecin coordonnateur de France Telecom informait les médecins du travail de la mise en place de cellules d’écoute et de médiation au niveau des Directions Territoriales Sud et Sud-Est. En septembre 2007, France Telecom décidait de généraliser cette expérience à l’ensemble des Directions Territoriales. Mais, à la lecture des quelques rares documents décrivant le fonctionnement de ces cellules, plusieurs médecins du travail ont relevé des incompatibilités déontologiques et réglementaires avec leur statut et ont signifiéleur refus de participer à ces structures. Ils n’ont jamais reçu de réponse à leurs remarques. Bien au contraire, ils ont été contraints de participer les 24 et 25 octobre 2007 à une formation sur les fondements théoriques de ces cellules. Pire encore, certains continuent de subir des pressions pour participer à ces cellules.

Et pourtant, sur ces aspects déontologiques, vos services avaient consulté le Conseil National de l’Ordre des Médecins qui, dès le 17 octobre 2007 (annexe 1), avaient émis « Les plus extrêmes réserves » sur les modalités de mise en œuvre des dites cellules. Fidèles à leur tradition de rétention d’informations vos services ont, là aussi, occulté cet avis du Conseil National de l’Ordre des Médecins. Avis qui, dès réception, aurait dû mettre un terme à laparticipation des médecins du travail aux cellules. C’est par hasard, que nous avons eu connaissance de cet avis dont on peut remarquer qu’il est antérieur aux formations imposées. À ce jour, il n’a toujours pas été diffusé aux médecins du travail de France Telecom.

De cette simple chronologie des faits on peut en déduire que vos services ont intentionnellement cherché à empêcher les médecins du travail de faire respecter leur déontologie.

3. Atteintes à l’indépendance des médecins du travail

S’appuyant sur les dispositions de l’article R241-41 du code du travail, le Syndicat SUD a demandé aux Docteurs Chantal BERTIN (Angers) et Christian TORRES (Lyon) de participer à l’animation d’un atelier de formation à destination d’élus CHSCT sur « la place de la médecine du travail à France Télécom et les relations avec les élus CHSCT« .

Les Directeurs Territoriaux se sont opposés à leur participation à cette formation au motif que cette « activité se situe hors du champ institutionnel de compétences des médecins du travail« . La DRH a, par la suite, invoqué un devoir de « réserve » puis de « neutralité » pour maintenir cette interdiction.

Saisis par le syndicat SUD PTT, Madame Sylvie Catala et le Docteur Claire Thomassin (annexes 2 et 3), respectivement inspecteur du travail et médecin inspecteur du travail, ont confirmé que cette activité de formation entrait bien dans l’exercice de la mission des médecins du travail et elles ont invité le DRH à revoir sa position. Malgré ces éléments, vos services ont persisté dans leur refus atteignant ainsi gravement l’indépendance de nos confrères qui est pourtant garantie par la réglementation et par leur contrat de travail.

Quant aux devoirs de « neutralité » ou de « réserve » invoqué par la DRH, ils laissent supposer soit que vos services ignorent que le médecin du travail agit exclusivement dans l’intérêt de la santé des salariés ou bien, ils sous-entendent que les avis de nos confrères ne sont pas dictés par cet impératif et, dans ce cas, les propos de la DRH doivent être considérés comme diffamatoires.

Ainsi que vous pouvez le constater, l’exercice de la médecine du travail à France Telecom est considérablement entravé par les errements et les postures professionnelles de vos services.

Plusieurs médecins du travail, s’estimant dans l’impossibilité d’exercer leur mission dans le respect des règles éthiques et déontologiques qui encadrent notre profession, ont préféré démissionner. Ils ont témoigné dans les médias de leur impossibilité à exercer sereinement leur art à France Telecom.

Pour notre part, nous vous demandons d’user de votre autorité pour que cesse rapidement ce trouble qui, à terme, pourrait avoir des conséquences délétères sur la santé des salariés de France Telecom.

Nous vous prions d’agréer, Monsieur le Président, l’expression de notre considération distinguée.

Dr Mireille Chevalier