- YC
- Orange
- 2007
- Paris
Bonjour à tous et toutes,
Je suis salarié d’Orange depuis 1992, j’ai écrit ces lignes en février 2019 à l’occasion du procès management Orange année 2005-2010.
Tout d’abord, merci pour votre action qui va m’aider mais aussi beaucoup de collègues à dépasser les meurtrissures, les nuits d’angoisse de cette époque.
Je viens par ce courrier témoigner comme d’autres de ce temps malsain, meurtrier, très angoissant
J’étais à l’époque préventeur en URR, puis en UI haut de Seine, sous la responsabilité de M. H.T. (Duo), M. G.M. (logistique) responsable de mon service. J’ai subi de la part de ce responsable une pression quotidienne pour partir de chez Orange. Tous les jours, j’avais droits à des remarques sur mon travail devant l’équipe de logistique, préventeur, cadre ... non pas sous forme d’amélioration mais pour démolir mes présentations, mes actions de prévention envers des collègues, avec systématiquement des reprises de mes projets, des remarques sur la qualité de ma présentation et que pour un cadre rien dans mes actions, activités n’était au rendez-vous, juste bon à jeter, à ignorer.
Le plus difficile pour moi était la répétition des remarques pendant l’échange du matin, à chaque croissement dans les couloirs ... il est simple de désorienté un subordonné. D’autant plus, s’il s’occupe des risques psychosociaux. C’était mon cas et j’ai très vite vu, perçu les intimidations, les tentatives de déstabilisation, en m’interrogeant sur les contre ordres, en voyant le peu de mails arrivés, en ayant peu souvent mon nom dans les projets, réunions à venir....je me remettais en cause à chaque instant pour m’améliorer. Je m’interrogeais aussi sur le regard de mon collègue préventeur, doutant de tout.
Lorsque je me remets à penser à tout ceci, je sens remonter un malaise, un frisson malsain. J’y revois non pas du face à face mais plutôt du dénigrement continuel sur des aspects minimes, des détails posés l’un à côté de l’autre, où par cette démarche je perds confiance, pour laisser place à la méfiance, au doute sur soi, sur les intentions des autres, sur les absences de sens. M. M. n’avait pas son pareil pour confier votre travail à votre collègue préventeur, à vous reprocher entre 2 portes des points insignifiants, à vous distiller quelques remarques négatives juste au moment où vous franchissiez pour partir la porte de son bureau. M. M. savait y faire et des agents m’avaient averti que j’étais ciblé, dans sa liste des noms à mettre dehors. Il m’avait d’ailleurs pour augmenter mon stress, demandé d’aller Rue de Madrid, lieu de la mobilité. Une fois passée là-bas, la pression venait de ces personnes et de votre responsable. Toujours la même demande, « où en êtes-vous de vos démarches, quels sont vos difficultés pour partir ? » Lieu qui tordait les tripes car à partir de ce moment-là, vous aviez un chapeau sur la tête, peut être une cible sous surveillance. Une salariée Rh de l’Ui hds y était affecté en permanence et les appels de sa part, vers nous était rarement apprécié. J’en avais à peu près deux par semaine, souvent le vendredi. Tout cela pour des projets visant toujours une sortie pour moi ou des collègues, seule issue possible puisque d’après eux pas en accord avec l’attendu, pas dans une posture managériale digne d’un préventeur.
Pendant des mois, je me suis demandé pourquoi au service nationale prévention santé, aucune préconisation de la part de Marc M. /ni de la part d’Hélène E. (aujourd’hui intervenante externe Smsst, conseil des directions Orange pour la santé sécurité ). Mon étonnement est qu’ils supervisaient d’un point de vue métier les actions, les projets des préventeurs et je n’ai jamais eu de leur part des conseils, appuis. Peut-être que j’étais trop gênant avec un historique lié à la défense des salariés.
Personnellement, je me suis senti très mal lors du suicide d’un collègue préventeur sur Bordeaux. Il s’est immolé devant le bâtiment Orange. Rien, pas un mot, pas un échange. Aucune remarque, à part de nous dire de solliciter l’espace écoute. Très léger en cette époque où même des médecins démissionnaient. Il ne fallait absolument pas contrarier le discours Orange. Insupportable pour moi au vue des dégâts humains.
J’en ai payé un prix fort de toutes ces tensions professionnelles, un épuisement professionnel, un dos avec une sciatique. J’en avais vraiment plein le dos de cette contradiction et de ces injections, de ces demandes, des entretiens qui me poussent sans cesse dehors. Tous dans cette entité UI Hds, nous avions la peur au ventre d’aller au boulot et d’être remarqué par son âge, sa qualification, son histoire professionnelle... Chacun savait qu’il n’y avait pas forcément du rationnel sur le ciblé, mais juste un mot d’ordre absurde, appliqué par quelques salariés (Gilles M., Hervé T., Hélène E., Marc M. ).
Pour moi aujourd’hui, il est important qu’un procès soit fait envers cette époque, pour démonter les mécanismes, pour mettre des mots sur nos maux, pour ne pas oublier les sans paroles que je croisais aux répartiteurs, à la logistique, en tant que techniciens... Tant de souffrances qui remontent, en écrivant ces lignes, mon dos me le rappelle. Je l’ai traversé comme un zombie, avec peu de gens pour m’aider, pour dire stop.
Seulement des suicides
Pour finir, merci à Sud pour ce procès à venir, que beaucoup attendent en silence,
Invisible mais attentif en interne et en externe pour les proches, amis des blessés, de ceux qui ne reviendront pas (CNSHSCT 28/09/10 : 23 suicides, 16 tentatives)
Si besoin je me tiens à la disposition pour témoigner de ce quotidien inacceptable, époque qui n’est compréhensible que par ceux qui l’ont vécu, trop inconcevable pour les autres. Aujourd’hui, quelques salariés chez Orange ne veulent pas de ce procès, ils ne peuvent pas comprendre notre besoin de mettre des mots sur ces temps où le management, s’est emballé et que La vie est plus importante que tout.
YC