27/06/2019 : Témoignage très fort sur le funeste 26/04/2011 qui a détruit nos familles (Louvradoux / Pannier)

  • BEATRICE - Caen
  • ORANGE
  • 2011
  • Calvados

JEUDI 27/06/2019 : ce fut le jour de l’audience (entre autres) de deux suicides à France Télécom, celui de Rémy Louvradoux, collègue de Bordeaux qui s’est immolé par le feu le matin de ce funeste 26/04/2011, jour où j’ai moi aussi attenté à mes jours à mon travail à Caen mais je suis encore là aujourd’hui car la mort n’a pas voulu de moi.

Contre toute attente, après moult rebondissements ces derniers jours, j’ai su mardi 25/06 à 20h30 par un mail de Maitre Sylvie Topaloff que si je souhaitais être entendue à la barre le 27/06, la Présidente du Tribunal m’en donnait l’occasion suite à ma demande le 1er jour du procès.

En effet, j’ai découvert les rouages de la justice française tout au long de ce procès, c’est à dire que pour être entendue officiellement dans ce procès, il aurait fallu que, de mon lit d’hôpital, alors que j’étais au fin fond du trou, en plein désespoir, j’ai la présence d’esprit d’aller porter plainte. Je peux vous dire que, pour ma famille et moi, la priorité est que je me sorte de cette descente aux enfers, que je survive pour ma fille Marine qui avait 8 ans à l’époque. Et personne de l’entreprise n’est venu me dire quels étaient mes droits en rapport avec la gravité de ce qui s’était passé. C’est donc 8 ans après que mon avocate Maitre Topaloff, dans les premières semaines du procès m’informe qu’il y avait peu de chance que je sois entendue car tous les autres dossiers avaient subi des enquètes policières et juridiques durant ces 8 dernières années. Dont acte, j’encaisse la nouvelle et j’en fais mon deuil.

Donc ce mail aussi inattendu qu’inespéré me montre que je vais avoir droit à la parole et cela, je vous garantie que cela n’a pas de prix. Alors je l’appelle comme elle me le demande et me dit de préparer un texte écrit qu’elle doit valider. Je m’y attelle dès 20h45 et je lui poste mon texte un peu avant 1 heure du matin de mercredi. Elle me le renvoie dans la matinée avec quelques corrections et quelques phrases à supprimer. Elle me dit "Tout le reste me va".

Alors que la canicule opère un réchauffement de Paris au bord de l’asphyxie, j’arrive au Tribunal pour 13h00, ouf bien climatisé.

L’audience ouvrira avec la famille Louvradoux dont les 4 enfants et l’épouse sont présents au premier rang. C’est Noémie la cadette qui parlera au nom de sa famille et son témoignage est fort. Il faut avouer que cela me remue d’autant plus que je retrouve des parallèlismes avec ce que j’ai vécu ce même jour et avant. Elle nous explique le papa d’avant, le papa qui souffre au travail et surtout la vie d’après où chacun a sa vie brisé et d’innombrables séquelles en matière de problèmes de santé (qui partagent moi-même mon quotidien). Par moment sa voix s’étrangle, prend un mouchoir, boit une gorgée d’eau et continue son récit. Dans la salle comble, nous sommes nombreux à craquer, le mouchoir à la main. Toute cette souffrance est palpable. Il n’y a que les prévenus qui restent stoïques, comme blasés et ne se sentant à aucun moment responsable de toutes ces vies brisées. C’est effarant tant de froideur de leur part.

Un Monsieur, autre partie civile qui a témoigné quelques jours plus tot s’effondre dans la salle. La Présidente suspend l’audience pour 30 minutes. Mais quand on s’approche de la salle plusieurs policiers en barre l’accès pendant encore 20 mn. Ouf, j’ai tellement eu peur que l’audience du jour soit terminée que je n’en menais pas large. Finalement, une fois réinstallés dans la salle, Madame La Présidente me demande de venir à la barre.

Heureusement, j’ai mon support écrit qui me permet de tenir le cap car je dois bien avouer qu’au bout de quelques paragraphes, j’ai ma gorge qui se noue, les larmes qui montent et des sanglots d’angoisse qui sortent. Je sors un mouchoir de mon pantalon, je prends une respiration et je continue mon récit. J’avais mis en gras les mots sur lesquels j’appuyais le ton et j’avais mis en rouge les endroits où je tournais la tete vers Didier Lombard comme si je m’adressais à lui. Il me semblait par moment ailleurs, parfois, je soutenais son regard et j’espère qu’il a lu et compris dans mes yeux ma souffrance et mon désespoir 8 ans après.

Voilà le début de mon intervention :

Madame la Présidente,
Je vous remercie d’avoir accepté de m’entendre lors de ce procès comme je vous l’avais demandé lors de l’ouverture car j’espère bien à l’issue de ce procès pouvoir enfin entamer un processus de guérison.
Permettez moi de commencer par citer Sophocle qui disait : « Aie du courage. Quand tu dis la vérité, tu ne fais pas d’erreur ». C’est une citation qui m’inspire car je ne vous cache pas qu’il en faut du courage pour témoigner devant vous tous, de ce qui a détruit ma vie et brisé ma famille, qui est LA vérité certes, mais tellement inhumaine.
Madame la Présidente, tout ce que je vais maintenant partager avec vous, j’en ai pesé chaque mot et il est clair que c’est la souffrance qui dominera tout mon témoignage.
A vous de prendre conscience de l’enfer que j’ai vécu mais aussi combien d’autres salariés sur toute la France....

Et voilà la fin de mon intervention :

J’espère Monsieur Didier Lombard qu’à travers mon témoignage, vous aurez compris l’enfer que j’ai vécu à cause de votre politique et lu dans mes yeux la souffrance et le désespoir qui m’habite encore 10 ans après.
J’espère que ce procès historique, hors norme que nous vivons va éveiller les consciences en haut lieu pour qu’on puisse enfin dire : « PLUS JAMAIS CA » et ce sera mon dernier mot, Madame La Présidente.
Merci

Madame la Présidente me remercie pour ce témoignage "Très fort", je me tourne vers mon avocate qui avait ses mains sur son nez et sa bouche et les yeux fermés. Elle avait l’air sous le choc.

Je retourne m’asseoir au banc des parties civiles et Maitre Topaloff vient me réconforter et me dit que mon témoignage, je l’ai fait vivre en le disant ce qui l’a beaucoup émue, car en fait elle l’avait déjà lu. Elle me dit : "j’espère que cela ne va pour vous faire resombrer" et je lui dis : "Ne vous inquiétez pas Maitre, vous n’imaginez pas comment ces larmes m’ont libéré d’une chappe de plomb qui me polluait la vie depuis si longtemps, je ne me suis jamais senti aussi légère". Elle me dit "Rentrez bien et prenez soin de vous."

J’ai pris le bus et je suis rentrée très tard à cause d’une déviation sur l’A13 qui a prolongé le trajet d’une heure et le lendemain, je découvre un mail qui m’a fait beaucoup de bien de la part de Maitre Topaloff. En voici quelques phrases fortes : "Vous avez été très courageuse et bouleversante."
"J’espère que le courage dont vous avez fait preuve  vous donnera un peu d’optimisme pour l’avenir. Il faut mettre tout cela derrière vous désormais et rebondir. Vous avez témoigné d’une vraie force. Sachez l’utiliser au mieux." "Je vous ai beaucoup admiré aujourd’hui. " "Je vous souhaite plein de belles choses. Je suis sûre avec des témoignages comme le votre que nous allons gagner." J’avoue que ce sont des phrases très fortes, très rassurantes et o combien libératrices.

C’est vrai que cette journée du 27/06, les témoignages ont été forts et que j’espère que cela fera basculer dans le bon sens le verdict du procès.

www.facebook.com/burnoutlecombatdemavie