Audience du 1er juin vue par Lucie Goussard et Guillaume Tiffon, sociologues, ont notamment publié ensemble Syndicalisme et santé au travail, 2017, Ed Le Croquant.
Petit manuel de défausse managériale
Au programme de ce mercredi 1er juin, deux thèmes pour le moins centraux de ce procès France Télécom : « la déflation », qui renvoie au plan de suppression des 22 000 emplois en trois ans, et « les outils de contrôle » déployés par la direction pour suivre sa mise en œuvre. Au sortir de cette journée, particulièrement dense et éprouvante, un constat, qui passerait presque inaperçu derrière l’aplomb des prévenus : malgré les drames humains dont il est ici question, malgré les faits accablants, malgré les circonstances tout à fait exceptionnelles de ce procès, Didier Lombard, Louis-Pierre Wenès, Guy-Patrick Cherouvrier, Brigitte Dumont, Nathalie Boulanger et Jacques Moulin n’expriment ni regrets, ni remords. A la barre, pas de pleurs, pas d’aveux, pas le moindre signe de culpabilité. Pour assurer leur défense, ils exposent bien plutôt au grand jour leur art de la rhétorique, celui grâce auquel d’ordinaire, lorsqu’ils sont sur leur « terrain de jeu », au sein des instances représentatives du personnel (IRP), tout glisse et semble n’avoir aucune prise sur eux. Alertes syndicales, expertises CHSCT, travaux universitaires, observatoire, inspection du travail, rapports de la médecine du travail, pression médiatique, procès…, rien n’y fait. Fidèles à leur posture, les prévenus démontrent, avec une constance désarmante, leur capacité à se défausser, comme s’ils se sentaient inatteignables, insaisissables même. Cette chronique se propose de revenir sur les différentes techniques utilisées au cours de cette journée pour nier leur responsabilité, à la manière d’un « manuel de défausse managériale ».
1/ Créer une faille sémantique pour défendre une autre interprétation des faits
Lorsque des faits sont avérés, confirmés par de nombreux témoignages, étayés par des preuves tangibles, des déclarations concordantes, des pièces à conviction, la première technique pour se dédouaner consiste à créer une faille sémantique, en jouant sur le caractère polysémique des mots, pour défendre une autre interprétation des faits. La journée a regorgé de débats de ce type, afin d’évaluer la crédibilité des scénarios esquissés par les prévenus.
Sur les 22 000 départs, par exemple, les dirigeants sont formels : il ne s’agissait pas d’un « objectif », mais d’une « trajectoire ». D’une simple « estimation », qui n’était qu’une « prévision », « justifiée par les obligations légales et/ou budgétaires », et qui s’appuyait « sur une analyse statistique des évolutions de l’emploi dans les années antérieures. » (Ordonnance de renvoi, p. 96). La nuance est si subtile que les cadres chargés de mettre en œuvre cette politique ne l’ont manifestement pas perçue. En attestent leurs témoignages dans l’ordonnance de renvoi. Mais surtout, même dans les scénarios les plus optimistes, la « trajectoire naturelle » des effectifs, au regard des données à disposition, ne dépasse guère 12 000 départs. Même Bernard Bresson, alors directeur exécutif RH, estime, dans un courriel envoyé à Louis-Pierre Wenès et Olivier Barberot, le 10 juin 2005, soit quelques jours avant l’annonce du plan NExT et sept mois avant l’annonce des 22 000 départs, que la « cible », pour fin 2008, était de 13 500 départs. En quelques mois, ils sont donc passés d’un « objectif » de 13 500 à 22 000 départs, alors même que la « trajectoire naturelle » des effectifs, au regard des flux observés les années précédentes, elle, n’a de fait pas changé. Bref, on a beau retourner le problème dans tous les sens, le compte n’y est pas.
Par ailleurs, c’est la définition même de ce qu’ils entendent par « départs naturels » qui interroge. On pourrait légitimement penser qu’il s’agit uniquement des décès et des départs à la retraite. Mais pas du tout : à ces derniers s’ajoutent les départs en retraite anticipés, pour les agent·es ayant bénéficié des Congés de fin carrière (CFC), ainsi que les Mobilités vers la fonction publique (MFP) et les « autres départs » (démissions, « essaimage », « projets personnels accompagnés »). C’est-à-dire toute une série de départs qui, pour le coup, n’ont absolument rien de « naturels ». Surtout lorsqu’il s’agit de passer de 1000 à 1500 Mobilités vers la fonction publique (MFP) par an (entre 2005 et la période 2006-2008) et d’augmenter considérablement les autres types de départs « volontaires » pour compenser l’arrêt des Congés de fin de carrière (CFC) à partir de janvier 2007. Car sur la période 2006-2008, d’après une note d’Olivier Barberot (D2353/18 – extrait du scellé C5), les départs à la retraite ne concernent que 5700 personnes. Pour arriver à 22 000, tous les autres départs ne sont donc pas, à proprement parler, « naturels ». Contrairement à ce que laisse entendre ce dévoiement sémantique, ces derniers nécessitent, de fait, tout un travail RH, d’ « accompagnement », mais aussi d’ « incitation », plus ou moins insistante. Or, c’est bien là le cœur du sujet et, d’une certaine manière, le but de toutes ces manœuvres. Car comment peut-on encore soutenir qu’il s’agit de départs exclusivement « volontaires » quand une partie non négligeable d’entre eux résulte d’une politique RH, décidée unilatéralement et sans concertation par la direction de l’entreprise ? Comment peut-on encore soutenir qu’il s’agit de départs exclusivement « volontaires » quand ces derniers atteignent des niveaux encore jamais vus ? Comment peut-on encore soutenir qu’il s’agit de départs exclusivement « volontaires » quand les managers sont évalués et même « objectivés », et donc rémunérés, selon le nombre de départs obtenus au sein de leurs équipes ? D’une certaine façon, personne n’est dupe. Mais là encore, tout glisse. Formellement, les salariés avaient la possibilité de refuser. Formellement, la direction de l’entreprise a juste indiqué une « tendance naturelle », un « cadrage général » pour les parts variables. Formellement, les méthodes trop agressives et insistantes observées ici et là relèvent de dérives, tenant à des initiatives isolées de managers zélés, ayant manifestement mal interprété le plan de la direction. Car comme le dira à la barre Guy-Patrick Cherouvrier, DRH France de 2005 à 2008 : « le plus important, c’est surtout la façon dont c’est fait. Si c’était moi, je l’aurais fait dans le respect de l’humain… »
2/ « Je n’étais pas là », « je ne m’en rappelle plus » : invoquer l’ignorance pour ne pas confirmer les faits
Quand aucune preuve ne permet d’établir leur culpabilité, les prévenus mobilisent une technique qui consiste à se mettre en incapacité de valider ou invalider les faits qui leur sont reprochés. Pour ne pas se prononcer sur la fameuse réunion de l’Association des Cadres Supérieurs et Dirigeants de FRANCE TELECOM ORANGE (ACSED) du 20 octobre 2006 où des propos d’une grande violence ont été tenus (« je ferai les départs d’une façon ou d’une autre, par la fenêtre ou par la porte » ; « Il faut bien se dire qu’on ne peut plus protéger tout le monde » ; « on ne va pas faire dans la dentelle » ; « il faut qu’on sorte de la position mère poule »,etc.), les ex-dirigeants de la firme ont tour à tour prétexté leur absence, leur retard ou leur départ précipité. Didier Lombard n’a fait qu’une courte apparition à cette convention, le temps de tenir son discours liminaire. Louis-Pierre Wenès a dû partir avant la fin. Guy-Patrick Cherouvrier n’en pense rien, puisqu’il n’était pas présent. De toute évidence, comme le souligne la présidente, « ce qui est particulier sur cette date, c’est que certains sont partis, d’autres étaient en retard… On sent bien que personne n’est à l’aise avec sa présence à cette réunion ». Finalement, les absents n’ont pas toujours tort…
Il existe pourtant des preuves de la culpabilité des prévenus. A la barre ce mercredi 1er juin, Nathalie Boulanger, l’ex-directrice territoriale d’Opérations France, déclare avoir été « très mal à l’aise, très choquée par certains propos tenus » lors de cette convention de l’ACSED. La Présidente Pascaline Chamboncel-Saligue l’interpelle sur le contenu de ces propos. « Je ne m’en rappelle pas précisément, mais je me rappelle que j’étais très mal à l’aise », affirme-t-elle à nouveau. « Et par la porte ou par la fenêtre ? », rétorque la Présidente. « Oui, ça, je m’en rappelle », concède enfin Nathalie Boulanger. Au-delà de cette déclaration et des autres témoignages consignés dans l’ordonnance de renvoi, une autre pièce à conviction inculpe les prévenus : non pas l’enregistrement audio de la réunion qui a été détruit à la demande d’Olivier Barberot, non pas le compte-rendu officiel publié sur le site de l’ACSED, dans lequel Marie-Claude Marguerite, la secrétaire générale de l’ACSED au moment des faits, a « pris sur (elle), de supprimer quelques phrases », « comme les propos des dirigeants étaient assez durs », mais le compte-rendu exhaustif de la réunion qui a été conservé dans son ordinateur et saisi par la justice. Dans ce document, tout figure : le « crash program », la nécessité de transformer l’entreprise pour dégager 7 milliards de free cash flow, le départ des « 22000 », l’usage d’un management « un peu plus dirigiste que par le passé », et l’abominable « par la porte ou par la fenêtre ». Confronté à ces pièces à conviction par la Présidente, Didier Lombard ne faillit pas : « Je ne suis pas persuadé d’avoir dit ça. Vous savez, quatorze ans plus tard, comment voulez-vous que je m’en souvienne… Et comme l’enregistrement est parti en fumée, vous n’avez aucune preuve ! ». Abasourdie par cette déclaration, une personne de l’assistance s’indigne : « Mais comment ose-t-il ? ».
Lorsqu’un peu plus tard, Maître Sylvie Topaloff lui demande s’il conteste avoir prononcé cette phrase, Didier Lombard ose une nouvelle fois invoquer l’amnésie liée à son grand âge : « on se situe quatorze ans après les faits. Je dois avouer que je ne m’en souviens plus et que ça m’étonne que j’aie dit ça puisque les 22000, euh… les 14000 n’étaient pas au centre de ma politique. Or la présentation liminaire portait sur ma politique, pas sur le volet effectif ». Il ajoute que Marie-Claude Marguerite était « très gentille », mais qu’elle a pu faire une erreur en rédigeant son compte-rendu… Les ficelles sont un peu grosses, mais l’ex-PDG ne perd pas la face. Après tout : pas vu, pas pris !
Personne n’est dupe non plus lorsque Brigitte Dumont, la directrice du programme Act, affirme n’avoir découvert le document « Réussir Act : synthèse des tables rondes de l’année 2007 » qu’en décembre 2013, lorsqu’il lui a été présenté par un inspecteur de police. Dans ce document, se trouvent pourtant toutes les recettes enseignées aux managers du groupe pour atteindre l’objectif des 22000 suppressions d’emplois : « l’enjeu est aussi de ne pas baisser la pression sur la mobilité FP[..]De manière plus générale, il faut introduire la culture du Turn Over » ; « pour aider les collaborateurs à se mettre en mouvement : les brusquer un peu pour provoquer une réflexion, qui pourra être relayée par les ED (Espace Développement) ; s’il ne veut pas changer de métier, ni de région, il n’y a pas de solution pour lui au sein du groupe et dans ce cas, seule la mobilité externe est possible » ; « Le temps, on en manque c’est vrai. Mais au-delà du temps de la prise de conscience, notre problème est culturel. Une bonne partie de nos agents sont encore trop attentistes par rapport à l’entreprise » (Ordonnance de renvoi, page 143).
La Présidente signifie à Brigitte Dumont l’étonnement de la cour : « Au vu de votre CV et de votre implication dans ACT, il est assez surprenant que vous n’ayez pas eu connaissance du contenu de ces tables rondes ». « Oui, mais j’ai été constante dans mes déclarations et je confirme que je n’ai jamais reçu ce document », répond-elle d’un aplomb déconcertant. « Mme Dumont reste sur ses positions, on en prend acte, sans mauvais jeu de mot », conclut la Présidente.
3/ Se faire passer pour un exécutant
Une autre technique observée consiste à se présenter comme de simples rouages, amenés à exécuter des décisions stratégiques dont l’origine leur échappe. A ce titre, plusieurs débats ont porté sur le fait d’établir si les prévenus étaient en position de « pilotage », comme le laisse entendre leur participation aux « copil » – comité de pilotage –, ou s’il s’agissait bien plutôt d’« exécutants », seulement chargés de « mettre en œuvre » les directives élaborées par leur supérieur hiérarchique. Guy-Patrick Cherouvrier, Brigitte Dumont et Nathalie Boulanger ont tour à tour eu recours à cette technique, bien pratique pour se dédouaner. Car comme leur supérieur hiérarchique, Olivier Barberot, s’est désisté après avoir fait appel de la décision en première instance, il n’est plus là, et donc, plus en mesure de confirmer ou d’infirmer les faits, ni de répondre de ses actes. Dommage…
Aussi, lorsque Guy-Patrick Cherouvrier, DRH France de 2005 à 2008, est interpelé sur le fait de ne pas avoir prévu de « plan B » en cas de non atteinte de l’objectif des 22 000 suppressions d’emploi, il répond, d’un ton assuré : « D’abord, je n’étais pas en situation d’échec, donc je ne me plaçais pas dans cette hypothèse ; ensuite, je n’en avais ni les moyens, ni la responsabilité. (…) Je ne pouvais pas réfléchir à des alternatives dans l’absolu parce que ça aurait supposé de trouver un budget et je n’en avais pas. » Amené à commenter l’arrêt du dispositif des congés de fin de carrière, il ajoute, peu de temps après : « La poursuite du CFC, comme DRH, ça m’aurait changé la vie. J’en aurais rêvé. Mais ça n’a pas été possible. Et ce n’était pas de mon fait. »
Nathalie Boulanger se dédouane quant à elle de toute responsabilité en affirmant avoir à peine choisi son poste de directrice des actions territoriales d’Operations France. La Présidente lui oppose alors : « C’est toujours un peu à l’insu de votre plein gré… Enfin, vous êtes une adulte responsable, vous êtes une femme brillante. Vous êtes capable d’être actrice de votre vie pour opposer des refus à vos supérieurs. ». « Vous pouvez aussi me demander pourquoi je n’ai pas démissionné », rétorque la prévenue. Quelques heures après cet échange, guidée par les questions de son avocat, elle précise : « non, sur le plan pratique, à cette période, je ne pouvais pas démissionner », de grandes difficultés sur le plan personnel et familial l’en empêchaient. Au fond, toute sa défense repose sur le fait de se présenter comme un rouage, passif, d’une politique initiée par ses supérieurs et qu’elle se serait juste contentée de mettre en œuvre.
4/ Pointer un autre responsable : un capitaine d’industrie au service des marchés financiers et lâché par l’État…
Enfin, Didier Lombard ne pouvant se faire passer pour un exécutant, sa défense est quelque peu différente et consiste à désigner un autre responsable, en externe. Il a eu recours à cette technique à deux reprises au cours de la journée.
Une première fois pour expliquer que l’entreprise était sur le point de faire faillite et que sa préoccupation, fondamentalement, était, d’abord et avant tout, de rassurer et satisfaire les marchés financiers pour sauver l’entreprise – les 22 000 départs, répète-t-il plusieurs fois, ce n’était pas le sujet, ce n’était pas au cœur de sa politique. « Pour sauver l’entreprise, il fallait récupérer entre 5 et 7 milliards de chiffre d’affaires (…) Le départ des personnes, ça ne rapportait rien. Donc, il y avait deux poids deux mesures. Il y avait un discours vis-à-vis des marchés qui consistait à dire : « regardez comme on est vertueux avec la réduction des effectifs », mais en fait, ça ne sauvait rien du tout. ». A l’entendre, ce projet de modernisation n’était donc pas de son fait ; il lui était dicté par la situation économique de l’entreprise et les attentes des marchés financiers. Pour les dividendes, qui ont doublé sous sa présidence, même raisonnement : « Vous voulez que je vous dise comment ça se décide ? On s’aligne juste en-dessous du peloton, mais pas trop loin non plus, des dividendes versés dans les entreprises des Télécom de tailles comparables au niveau européen. Donc, il ne faut pas dire que les dividendes, c’est une politique de la direction. C’est pas vrai ! » Sincères, pragmatiques, stratégiques ou simple reflet de sa cécité idéologique ? Chacun appréciera. Mais en tout état de cause, ces propos illustrent de façon emblématique la façon dont les capitaines d’industrie sont aujourd’hui asservis par la sphère financière, avec les conséquences humaines qu’on connaît, même si d’ordinaire, malheureusement, ces souffrances et ces drames ne sont pas mis en lumière comme dans ce procès, même si d’ordinaire, ces souffrances et ces drames demeurent invisibles, tapis dans les plis de la honte et de la culpabilité…
La seconde fois où l’ex-PDG de France Télécom a utilisé cet argument, c’était pour imputer la responsabilité de cette crise à l’État. Car selon lui, l’État l’a lâché ! Il était prêt à mettre l’argent qu’il fallait pour renouveler le dispositif de congés de fin de carrière (CFC), grâce auquel toute cette crise n’aurait probablement pas eu lieu : « on n’était pas à un milliard près ! », lance-t-il. Mais « l’État n’a pas débloqué les choses ». Le ministre de l’époque, dont il taira le nom, n’a même pas daigné le recevoir plus d’un quart d’heure. Cela ne lui était jamais arrivé ! Impossible, dans ces conditions, de maintenir le dispositif en portant à lui « seul le CFC » ! Pour une fois, l’État pompier, celui-là même qui, lors de la crise de 2008, consentit pourtant à s’endetter jusqu’au cou pour sauver les marchés financiers, s’est soustrait à sa fonction organique dans la dynamique contemporaine du procès d’accumulation du capital…
5/ En dernier recours, faire usage de la force et de la violence de classe
« Vous n’y connaissez rien en matière d’entreprise ! (…) Je vous dis que cette entreprise était sur le point d’être en faillite. Point ! ». Arrogance, mépris, irrévérence … Dans les interactions avec la Présidente de la cour, les avocats des parties civiles ou le ministère public, Didier Lombard ne mâche pas ses mots pour imposer sa vision des faits et naturaliser sa vision du monde. S’agissant des lois économiques, du fonctionnement du marché, des orientations politiques et stratégiques prises par les dirigeants des grandes entreprises, l’ex-PDG de France Telecom affirme avec force la supériorité de sa position et de sa rationalité. Florilège : « C’est une hérésie ! C’est absurde de penser que ACT est le volet RH de NExT » ; « Il va falloir que vous appreniez un peu la comptabilité » ; « Vous faites une grave erreur arithmétique. Il fallait générer 7 milliards d’une manière ou d’une autre (…) mais ça aurait été impossible en jouant sur une réduction d’effectifs ». Il va même jusqu’à fustiger les remarques qui lui sont adressées lorsqu’il est à la barre : « Vous êtes en train d’enfourcher le cheval médiatique des 22000 suppressions d’emploi ! », « vous êtes toujours en train de chanter la chanson des dividendes (…) Ça commence à bien faire ». Même en position de prévenu, même face à un auditoire des plus armés, culturellement et symboliquement, Didier Lombard se pose en dominant, autorisé à claironné sa doxa. C’est-à-dire : essentialiser le fonctionnement de nos économies pour légitimer l’inexcusable. Devant la cour, point de remords, point d’aveux, point d’excuses : le PDG et son équipe concèdent tout au plus « un manque de discernement ici et là ». Et c’est sans doute là, pour nous, le fait le plus marquant de cette journée. Lors de cette audience du 1er juin 2022, jamais les dirigeants de France Telecom n’ont exprimé le moindre regret d’avoir porté atteinte, par les décisions qu’ils ont prises, à la santé de tous ces travailleurs et ces travailleuses, touché·es dans leur chair et leur dignité, et aux vies parfois sacrifiées. Pourquoi donc s’excuser, se disent-ils probablement ? D’avoir sauvé l’entreprise ? D’avoir eu le courage de faire les réformes structurelles qui s’imposaient pour la remettre sur de bons rails ? Même en pareils cas, ces fractions de la classe dominante ne fendent pas l’armure. Sûres de leur force, agies par leurs intérêts de classe, elles ne doutent pas ; elles expliquent et réexpliquent, autant que nécessaire, avec l’arrogance, la violence et le mépris de classe qui les caractérisent.