Mon témoignage daté du 13/09/2009 (2 ans avant tentative de suicide le 26/04/2011)

  • Béatrice, Caen
  • Orange
  • 2009
  • Calvados

Voici mon témoignage écrit à chaud à l’époque qui retrace tout ce que j’ai vécu et qui a abouti à une tentative de suicide sur ma position de travail le 26/04/2011. Il est un peu long mais on a vécu tellement de choses hallucinantes et destructrices.

13/09/2009
SOS !!! HELP !!! AU SECOURS !!! SOS !!!

Hier, j’ai été anéantie d’apprendre encore la mort d’une collègue qui a dû se jeter par la fenêtre pour mettre fin à ses souffrances morales. Quand on écoute les médias, qui annoncent que c’est à cause de l’annonce d’un changement d’équipe, ce qui, au prime abord peut s’avérer anodin. Mais si vous saviez comme je la comprends car, je suppose que pour elle, cela a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Moi aussi, j’ai connu cela. On cumule au fil des mois et des années des tas de contrariétés, de contradictions de l’entreprise et on pète un câble. Je ne peux plus me taire, il faut que l’extérieur sache quel est notre quotidien. De plus, étant DP sur mon entité, je suis bien placée pour connaître le désarroi que vivent mes collègues des autres services.

Le fait de changer d’équipe peut être mal vécu du fait qu’à FT, vous avez certains chefs d’équipe que j’apparenterais presque à des « tortionnaires ». Sur mon plateau, on a eu un chef d’équipe (heureusement qui n’était pas le mien) qui a reçu les membres de son équipe à son arrivée un par un et à qui il balançait son CV en disant : je suis divorcé, j’ai x enfant, j’habite à y, j’ai tel diplômes… et toi. Quelle entrée en matière !!! Quand il venait parler à mes collègues féminines, il se « vautrait » sur leur position de travail pour leur parler. C’est quelqu’un qui ne dit jamais bonjour en arrivant, encore moins au revoir en partant et étant cadre autonome (horaires libres), arrivait certains matins à 10 heures, voire 11 heures et repartait à 16 h ou 17 heures sachant que le plateau avait pour horaire 8 H / 20 H. Et monsieur quand il était de vigie, signalait à notre responsable de plateau la liste des retards de chacun. Quand nous les DP (délégués du personnel) avons assisté à une réunion avec notre responsable de plateau, il nous a été annoncé que les retards seraient sanctionnés, j’ai dit qu’il faudrait peut être que déjà les cadres montrent l’exemple. La réponse fut qu’il était cadre autonome et avait donc tous les droits concernant ses horaires. Hallucinant comme réponse !!! Certes, mais sur le plateau nous avions d’autres cadres autonomes qui eux étaient là dès 8 heures et ne comptaient pas leurs heures. Ce même monsieur, quand il était de vigie, venait au salon de repos nous chercher quand on était depuis trop longtemps en pause ou trop nombreux en pause. Il est vrai qu’il y a des jours, quand vous venez d’avoir pris 5 appels d’affilée où on vous a traité d’incapable, insulter et j’en passe, il est clair que une pause de 10 mn peut être trop courte pour récupérer de cette accumulation d’agression verbale et morale. Un jour, où il a poussé le bouchon trop loin, c’est tombé sur moi, j’ai pété un câble, je lui ai envoyé un mail (en envoyant une copie à ma responsable d’équipe et notre responsable de plateau) qui lui disait ses 4 vérités. C’est sûr que s’entendre dire qu’ici nous étions sur un plateau téléphonique et non pas sur un plateau de cinéma. Que s’il voulait jouer les shérifs c’est à Hollywood qu’il fallait postuler et qu’ici nous étions des êtres humains et non pas des malfrats à traquer. J’ai été convoquée par la directrice et là ce sont les menaces qui pleuvent. Que s’il y avait problème, j’aurais du lui en parler, mais le problème est que cette dame nous gérait à distance, on ne la voyait jamais. Elle a bien dû le reconnaître. Résultat, j’ai craqué, j’étais dans un état pitoyable. En sortant, je suis allée chez le médecin pour avoir des calmants, j’ai été arrêtée, j’ai été contactée l’après-midi même pour me dire qu’il existait une cellule d’écoute et d’accompagnement pour les personnes en difficulté au travail (1 an après j’attends toujours qu’elle me contacte car j’étais très volontaire de faire connaître les problème rencontrés et essayer que ces infos soient remontées en haut lieu afin d’améliorer les conditions de travail). J’ai eu rendez vous avec une assistante sociale et la médecine du travail, dans la semaine qui suivit mais personne de cette cellule. Quand vous péter un câble et que vous craquer, le seul endroit où je pouvais m’isoler pour me calmer étaient les …. « WC » à l’autre bout du bâtiment !!!

Moi aussi, je l’avoue, j’ai des envies suicidaires. Heureusement, la seule personne qui me maintiens la tête hors de l’eau c’est ma fille, qui a 6 ans (en garde alternée) et qui est pour moi le cadeau de la vie que je n’attendais plus l’année de mes 40 ans. J’essaie de ne pas craquer devant elle, mais quand elle me voit revenir du travail avec les yeux rougis et une tête déconfite et qu’elle me dit : « Ca va, maman ? », je craque de plus belle et elle vient me serrer très fort dans ses bras, elle m’essuie les yeux avec ses petits doigts et me dit : « Je suis là ma petite maman chérie, ne pleure pas, ça va aller… » Elle court ensuite me chercher des mouchoirs. Elle est devenue ma seule raison de vivre car autant vous dire que si elle n’était pas là avec la vie d’enfer au bureau et une vie rongée par la solitude, à quoi bon rester sur cette terre, puisque l’on existe pour personne.

J’ai encore disjoncté le 29 juin dernier. En effet, tout le personnel de France Télécom / Orange étions convoqué d’office à une réunion, courant juin, « Orange 2012 », où 2 responsables étaient chargés de nous dévoiler la politique de l’entreprise pour les 3 années à venir. Devoir vendre encore plus (avec des objectifs inatteignables), surtout les nouveaux produits qui vont arriver sur le marché, avec des formations adéquates (il y a longtemps que nous n’avons plus de formation, c’est juste une demi heure d’information et encore). Il y aura encore des restructurations avec une politique à fond d’ « open-space » avec des plateaux de 150 personnes. Les départs (en retraite ou autres) ne seront pas remplacés. Et en plus, il faudra continuer à faire de la qualité client. Moi qui travaille au service réclamation d’Orange Internet Pro, je ne vous dis pas comment les clients sont écoeurés par nos pratiques (avec entre autre de la vente forcée : que dire à une mamie qui vous écrit qu’elle n’a même pas d’ordinateur mais se retrouve avec un abonnement pro et un tas d’options coûteuses…)

On nous résuma la grand-messe de 2 heures de la manière suivante :
ORANGE 2012 =
- personnel trop vieux (moyenne d’âge 50 ans) : départ en retraite forcé (ex : femme de 50 ans avec 3 enfants) non remplacé
- personnel trop masculin : il fallait embaucher plus de femmes
- personnel trop « blanc » : et oui, l’entreprise doit s’adapter à sa clientèle à savoir que les agences qui reçoivent le public doit ressembler à son public (donc dans le 9 3, sera embauché plus de gens de couleur …) Nous sortir cela 3 ou 4 jours après la mort de Michael Jackson, qui lui se blanchissait la peau, et bien, il faudrait que l’on se la noircisse pour rester en piste dans l’esprit de l’entreprise. Mais jusqu’où la boite va aller pour nous détruire ???

L’après-midi, nous fûmes convoqués à une réunion de plateau pour nous annoncer que nous déménagions à l’autre bout de la ville pour un an à cause de travaux d’agrandissement du bâtiment et rénovation de notre bâtiment actuel. (j’ai appris à la réunion DP de juillet, qu’ils devaient en plus désamianter l’immeuble ce qui ne nous avait jamais été dit). Nous travaillons depuis des années dans un immeuble où nous avons une antenne de télécommunications au dessus de la tête et en plus dans un immeuble bourré d’amiante. Merci pour notre santé, je comprends pourquoi nous avons des collègues qui déclenchent des cancers si jeunes. Certes, nous savions que nous allions déménager mais la semaine précédente, nous avions des infos qui circulaient comme quoi cela se ferait pas avant novembre voire décembre. Et bien, non tout s’est fait en vitesse sans concertation avec les IRP et on a eu l’audace de nous dire qu’on avait de la chance d’être prévenu avant les vacances afin que l’on passe de bonnes vacances !!! On nous promis différentes choses :
- parking extérieur serait clôturé avec barrière afin qu’il ne soit accessible qu’au personnel car jusqu’à ce jour, le parking est public et dès 9H, vous n’avez plus de place pour vous garer (toujours pas de barrière)
- fontaine à eau à notre étage (bâtiment de 6 étages) (il faut aller au 2ème)
- distributeur de boissons chaudes et fraîches (un au RDC et un au 2ème)
- salon de repos avec ligne téléphonique (rien, le seul téléphone existant était au RDC et a été enlevé)

Voilà nous avons déménagé la semaine dernière (vendredi 4) : aucune promesse n’a été tenue de tout ce qui est énoncé ci-dessus. Par ailleurs, le plan fait de la salle avec les bureaux où chacun devait se positionner (pour le 01/07 dernier délai), s’est avéré complètement erroné une fois sur place. Avant nous étions 35 personnes répartis sur 2 plateaux, maintenant nous sommes dans une même salle à 35 avec vue imprenable sur le périphérique de Caen, où quand le premier jour un cortège d’une vingtaine de Harley pétaradantes est passé sous nos fenêtres, j’ai cru qu’elles roulaient dans la pièce tant on les entendait, fenêtre fermées. Nous sommes une entreprise de télécommunications, mon poste téléphonique et celui de ma collègue élue CHSCT n’ont été raccordées que vendredi 11 soit une semaine après le déménagement. Bravo les conditions de travail, obligées d’utiliser les postes de nos collègues voisines. Il faut savoir que les plateaux téléphoniques sont « chartés » à savoir :
- taille de nos bureaux : 7 m2 par personne au lieu de 12 jusqu’à maintenant
- interdiction de personnaliser son bureau avec photos de ses enfants…
- interdiction de boire un café ou avoir une bouteille d’eau sur son bureau
- interdiction d’avoir son portable sur le bureau sachant que c’est le seul moyen de nous joindre pour l’école ou centre aéré puisqu’il n’y a pas de ligne téléphonique dédiée. Il y a certes la ligne de vigie mais qui sonne dans le vide bien souvent.
Pour l’instant j’ai personnalisé mon bureau comme je l’entendais et il est hors de question que l’on me jette les photos de ma fille à la poubelle. Et cela je n’en démordrais pas.

Cerise sur le gâteau, notre nouveau responsable de plateau (la précédente étant en partance pour une autre administration), n’a même pas daigné venir nous voir et savoir comment s’est passé le déménagement. Il s’est pointé mardi soir à 18H. N’étaient présents que le responsable de vigie et ma collègue du CHSCT. Et ce monsieur ne sera là que 3 jours par semaine, 1 jour à Tours et 1 jour à Paris. Ah oui, car il faut savoir que le service professionnel des différentes régions de France (soit 2200 personnes : fixe, mobile et internet, nous sommes rattachés depuis le 01/07 à …..Paris. Pourquoi ??? On se le demande encore. Pour l’anecdote, concernant le CE, chacun dépend de son CE régional. Le notre était particulièrement actif avec des sorties, voyages et des réductions sur notre région. Résultat : on va dépendre d’un CE qui ne propose absolument RIEN. La seule chose qu’il propose c’est des réductions au Centre Commercial de la Vache Noire à Arcueil. En effet, cela nous fera une belle jambe de bénéficier de réductions chez le coiffeur ou opticien à Arcueil pour nous qui habitons à Caen, Metz ou Bordeaux. Il est grand temps d’arrêter le délire. Il serait si simple de pouvoir continuer à dépendre de son CE régional géographiquement parlant. Mais non, tout est fait pour nous pourrir la vie et surtout nous la compliquer surtout quand on peut faire simple.

L’entreprise est en constante contradiction avec elle-même. Autre exemple parlant : après avoir sondé le personnel, il a été mis en place un PDE (plan déplacement entreprise) qui entre autres permet de venir travailler en vélo en bénéficiant d’une participation de 20% sur l’achat d’un vélo. Au mois de mai, j’ai décidé d’investir dans un vélo électrique (800 euros), ma voiture commençant à montrer des signes de fatigue (cet été j’ai eu pour 220 euros et 430 euros de réparation). Mon trajet passe de 7 mn en voiture à 15 mn en vélo ce qui me change la vie. Je trouve cela génial d’autant qu’on a eu plutôt un bel été en Normandie. Cela m’a fait un bien fou (sportivement parlant). Par contre, la fameuse participation est apparue sur le bulletin de paie sous appellation : « Récompense », récompense de quoi, je me le demande encore. 2 mois après l’achat de mon vélo, j’apprends que nous déménageons à l’autre bout de la ville soit un trajet en vélo d’une heure. L’entreprise montre qu’elle veut se montrer « écologique » par certains côtés mais elle agit en parfaite contradiction en mettant ses agents sur la route. Coté écologie, on a vu mieux. Mais il y a pire, j’ai des collègues de Lisieux, pour qui le service fermait et n’ont pu que venir travailler sur Caen, résultat en kilomètres et aggravation de temps de trajet, c’est insupportable.

Tout ceci apporte la preuve que nous ne sommes que des pions avec un numéro (code alliance) que l’on déplace et qu’on manipule au gré de ce que les pontes à Paris décrètent pour accroître au maximum les profits des actionnaires mais sans se soucier que nous sommes des êtres humains avec une vie privée. Les personnes qui peuvent en plus être fragilisés par des problèmes personnels : je vis seule avec ma fille (en garde alternée), je suis en procès avec le promoteur avec qui j’ai acheté une maison clé en mains et pour laquelle j’attends toujours des travaux depuis 3 ans. Tous ces problèmes avec un travail où 8 heures par jour le casque sur les oreilles vous vous faites « engueulée » à longueur de journée, je suis depuis cette date sous antidépresseurs et à temps partiel (80%), préconisé par la médecine du travail pour mieux supporter mon travail, sauf que financièrement quand votre emprunt est calculé sur un temps complet, je peux vous dire que les fins de mois sont rouges. Un salaire de 1400 euros avec 1350 euros de charges (prêt, impôts, Edf, Gdf…..) il reste 50 euros pour finir le mois !!! Je comprends que l’hiver dernier des personnes même salariées étaient obligées d’aller aux restos du cœur. Moi j’ai dû me résoudre déjà à ne plus acheter de viande, tant c’est devenu cher. Les gens sont fragilisés et la vie peut basculer du jour au lendemain dans l’enfer.

En étant délégués du personnel, je vois les problèmes rencontrés par les différents services :

- collègues très bons sont nominés d’office pour aller renforcer des services où personnes ne veut aller et on leur fait miroiter que c’est une reconnaissance. En effet, des collègues soutiens depuis plusieurs années se retrouvent à devoir travailler dans un service à prendre des appels, faire de la vente avec des objectifs surréalistes et c’est soi disant une reconnaissance !!! De qui se moque-t-on !!!
- prévisions de congés plus de 6 mois à l’avance avec des refus suite aux prévisions de flux qui s’avèrent erronés le moment venu et on se retrouve en surnombre sur les périodes où des congés ont été refusés.
- temps partiel annualisé (avec toutes les vacances scolaires) refusé à une collègue qui a 3 enfants en bas âge. Pour qui est donc fait ce temps partiel !!!

Le dernier projet pondu par l’entreprise : suite à l’ « Ecoute salariée » (sondage) où transparaît une révolte du personnel de ne pas être reconnu. On nous demande de plus en plus d’être de plus en plus compétent sans augmentation de salaire à la clé. Il y aurait en projet de classer le personnel dans 4 catégories et qu’en fonction de la catégorie où on se situe, il y aurait une prime. La belle affaire si c’est une prime de 150 euros pour l’année qui ne rentre meme pas dans le calcul de la retraite ! Il serait mis au point un outil coaching qui permettrait à chacun de s’évaluer en étant filmé et débriefé. Mais jusqu’où vont-ils aller pour encore mieux nous presser, nous dévaloriser et nous tuer à petit feu !!!

Jeudi dernier, nous avons été nombreux à faire grève et manifester en ville. C’était l’occasion d’extérioriser mon ras le bol et mon mal être mais surtout aussi une manière de rendre hommage à nos collègues disparus qui ne pouvaient plus faire face et pour qui ce geste était leur seul recours. J’espère que la rencontre du Ministre du travail et de notre Directeur va être fructueuse pour que l’on retrouve au plus vite un souffle de vie car quand pendant des années, on vient au travail avec la boule au ventre. J’en suis rendue à un point qu’après 27 ans ce carrière (je suis entrée aux PTT à 19 ans), j’ai honte de dire où je travaille. Il y a quelques mois, je suis allée consulter un ostéopathe qui m’a demandé ma profession, et qui m’est tombé dessus en me disant : « Ah, ne m’en parlez pas, cela fait 3 semaines que je suis en panne d’internet et je ne suis toujours pas dépanné !!! Comment être fière de travailler pour une entreprise dont le leitmotiv est : « Profits, fric, actionnaires… »

Pour finir, j’ai consulté mon médecin généraliste cette semaine qui m’a prescrit un antidépresseur plus percutant. Programme de la semaine prochaine :
- mardi matin : j’ai rendez-vous avec le médecin du travail
- jeudi matin : j’ai réunion DP qui s’annonce houleuse vue les questions que nous avons préparé.

Voici la prose de quelqu’un qui est au bout du rouleau et qui attend beaucoup de la réunion de demain avec le ministre pour moi et mes collègues.

Un agent de France Télécom en détresse qui n’en peut plus.